La hausse de la TVA nuit à l'action culturelle locale
Sous l’effet de la crise et de la volonté de l’Etat de trouver des recettes supplémentaires, le gouvernement annonce son intention de modifier le taux réduit de TVA, excepté pour quelques produits de première nécessité dont les biens culturels ne font donc pas partie. Pour Jack Lang, père de la loi sur le prix unique du livre, c’est là « un geste symboliquement négatif à l’égard de la culture » (Libération, 10/11/2011). Ce relèvement (…) n’est évidemment pas sans conséquence sur le livre ‘‘physique”.
« Si la nécessité de redresser les finances publiques n’est pas discutable, ce n’est pas en fragilisant l’ensemble d’une filière, en risquant d’entraîner la fermeture de centaines de librairies et en détruisant de très nombreux emplois que cet objectif pourra être atteint », déclare la rédaction du site du Syndicat de la librairie française (SLF). Pour une profession d’une extrême fragilité (cf. la Lettre d’Echanges n°74), cette hausse de la TVA, pour légère qu’elle soit, aurait un impact « dramatique » : « Si les libraires devaient absorber sur leur marge la hausse de la TVA – ce qui est un risque très réel pour les millions de livres qu’ils ont en stock –, cela reviendrait à diminuer la valeur de leur stock de 1,5% et à faire passer leur bénéfice de 0,3% du chiffre d’affaires en moyenne à - 0,2% ! Une majorité des librairies se retrouverait ainsi en perte et menacée de fermeture. »
…le cinéma…Déjà échaudée par l’amendement de la loi de finances 2011 sur le plafonnement de la taxe du CNC et le reversement à l’Etat des sommes excédantes, peut-être pour financer le projet de Centre national de la musique (cf. le communiqué de la FNCC, la Lettre d’Echange n°76), les milieux du cinéma s’inquiètent de la hausse du billet de cinéma qui résultera mécaniquement de la hausse de la TVA.
La Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs de cinéma (ARP), qui elle aussi réclame une TVA à taux réduit pour tous les biens et services culturels – « s’étonne que le gouvernement français ne considère pas que les biens et services culturels constituent des biens de première nécessité, particulièrement en temps de crise, où la culture demeure un refuge de l’esprit ».
De son côté, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) « regrette profondément cette initiative, prise sans aucune concertation, qui constitue un coup de canif dans la politique de soutien à la diversité culturelle » et espère que cette augmentation du taux réduit de la TVA « ne s’accompagnera pas d’un renoncement de la France à poursuivre le combat engagé en Europe pour obtenir le droit pour chaque Etat d’établir une fiscalité spécifique pour tous les biens culturels, qu’ils soient numériques ou non ». La SACD rappelle en effet qu’aujourd’hui, les oeuvres culturelles « ne peuvent bénéficier en Europe d’une fiscalité allégée si elles sont mises à disposition par voie numérique » et que le Gouvernement doit poursuivre son engagement auprès de l’Europe pour « une fiscalité numérique plus propice à favoriser le développement des offres légales » (communiqué du 7 novembre).
La Société des gens de lettres (SGDL) et le Syndicat national de l’édition (SNE) s’inquiètent également, pointant déjà les difficultés liées au bouleversement numérique de la chaîne du livre. Pour les auteurs, soit l’éditeur répercute la hausse en baissant leurs droits (d’environ 1,5%), soit il augmente le prix des livres (d’environ 30 centimes), ce qui n’est pas favorable à leur vente. Dans les deux cas, le résultat est négatif.
Les éditeurs, eux, y voient une mauvaise nouvelle pour la diversité et la démocratisation culturelle et « regrettent vivement l’absence de concertation et de coordination préalable ». Ils soulignent que le taux de TVA réduit n’est que de 4% en Espagne, de 3% au Luxembourg et de 0% au Royaume-Uni et en Irlande.
… et le spectacle vivant. Ici, c’est notamment le Prodiss (Union du spectacle musical et de Variété) qui réagit, estimant que l’augmentation de la TVA à taux réduit « sonne le glas de la diversité » et va « frapper de plein fouet les spectacles de variété et les concerts de musiques actuelles ». Si l’application d’une TVA très réduite (2,1%) à la création et à la diffusion de spectacles ne semble pas pour le moment remise en cause, le taux de 7% fragilisera les plus petites compagnies en les contraignant à répercuter la hausse sur leur vente de spectacles. Pour le Prodiss, cette mesure est tout simplement « inenvisageable » dans un contexte économique très défavorable, où les recettes des spectacles sont en baisse (- 5 %), en particulier sur les artistes en développement (- 22%). « Alors que le président de la République a décrété l’urgence d’un sauvetage de la filière musicale passant par la création d’un Centre national de la musique, le Gouvernement entrave les petites entreprises de production de spectacles françaises » (communiqué du 8 novembre).
Même les grandes scènes, peu concernées par la hausse, s’en émeuvent, le président du Syndeac, François Le Pillouër, estimant que c’est « une mauvaise nouvelle » préludant à d’autres décisions douloureuses. « Ce sont les compagnies et le petites structures qui trinquent » (Libération, 10/11).
Quant à la Fédération nationale des employeurs du spectacle vivant public et privé (FEPS), son analyse est sombre : « Le Premier ministre a annoncé une hausse du taux réduit de TVA de 5,5% à 7%, qui pourrait impacter notamment la billetterie et les cessions de spectacles, alors que la saison est déjà entamée et que les structures artistiques et culturelles n’ont pas la possibilité de revoir leurs tarifs à la hausse. » Cette mesure « frappera de plein fouet des entreprises déjà en difficulté dans le contexte actuel » marqué par une baisse de la fréquentation, « la stagnation des moyens alloués par le ministère de la Culture depuis plusieurs années et la réforme des collectivités territoriales [qui] ont provoqué une baisse significative des financements pour la création et la diffusion ».
La Fédération nationale des employeurs du spectacle vivant public et privé (FEPS) alerte le gouvernement et les parlementaires « sur une mesure d’ordre général qui risque de mettre en grande difficulté nombre d’entreprises artistiques » (communiqué du 9 novembre).
La hausse du taux réduit de la TVA culturelle devrait rapporter 60M€ via le livre et 20M€ par le cinéma… N’est-il pas à craindre que ce gain modeste n’entraîne des coûts induits qui lui seront supérieurs ?
Fragile poésie. Fonctionnant essentiellement sur le triptyque pauvreté-gratuité-solidarité, la poésie n’est que peu concernée par les politiques fiscales. « Une revue de poésie publie en moyenne chacun de ses numéros à 400 exemplaires, et survit grâce à 200 ou 300 abonnés », écrit le poète Pierre Maubé (cf. site le Printemps des poètes). On comprend ici combien les minces subventions accordées, peu significatives aux yeux des responsables politiques, sont vitales. Or, au hasard de la lecture d’une revue de soutien à un éditeur de poésie – les éditions de l’Amourier – situé en région PACA, titrée Basilic, on peut lire ces lignes qui déplorent la suppression « des 2000 euros qui nous étaient alloués depuis plus de 10 ans pour l’action de notre association en faveur de la littérature et de la lecture publique ».
Rappelons que, comme l’affirmait le député François Lamy (la Lettre d’Echanges n°55), les revues, même confidentielles, sont des vecteurs essentiels du dynamisme de l’art poétique. Notons aussi que l’un des critères du label ‘‘Ville en poésie’’ ou ‘‘Village en poésie’’ inauguré par le Printemps des Poètes (cf. la Lettre d’Echanges n°76) est de « soutenir la publication d’une revue de poésie locale ».
Vincent Rouillon